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À la découverte de Jean Forton (1930-1982)

Bordeaux s’enorgueillit de Montaigne, de Montesquieu et de Mauriac, les trois M, comme on les appelle. Rarement, on rappelle que Sollers, si parisien, est un fils de famille bordelaise, la famille Joyaux qui possédait une usine de ferblanterie installée à Talence. Encore plus rarement, les mieux informés citent Raymond Guérin, l’auteur des Poulpes, impressionnant roman sur l’expérience des camps de prisonniers en Allemagne pendant la seconde guerre mondiale.

Or Raymond Guérin fut le grand aîné bordelais de Jean Forton qui, tout jeune, paya de ses deniers la publication d’un inédit de cet écrivain qu’il admirait à l’égal d’un Céline : Du côté de chez Malaparte. Dans ce court ouvrage, réédité récemment par les éditions bordelaises Finitude, Guérin raconte le séjour qu’il fit dans l’extraordinaire demeure de Malaparte sur l’ïle de Capri.

Jean Forton fit donc son entrée dans les lettres à 20 ans sous les auspices de cet écrivain sombre et puissant, lui aussi trop méconnu.

Quatre ans plus tard, il publiait son premier roman, La Fuite, chez Gallimard, dont il allait devenir l’un des poulains les plus prometteurs. Chaque année vit paraître alors un nouveau roman de lui et le jeune écrivain entra rapidement en lice pour les grands prix littéraires, tandis que ses œuvres étaient désormais traduites en plusieurs langues.

Il obtint le prix Fénéon en 1959 pour un roman considéré comme son chef-d’œuvre, La Cendre aux yeux, et fut plusieurs fois favori au Goncourt.

Il fut même donné gagnant pour ce prix en 1960 avec L’Épingle du jeu, roman qui se passe sous l’Occupation, dans une institution religieuse tenue par des Jésuites, bien connue des Bordelais. Les héros sont des adolescents soumis à des traitements inhumains de la part de leurs maîtres. Fascinés par l’un d’entre eux, certains de ces jeunes garçons, épris d’idéal, se verront embarqués dans une aventure tragique.

Hélas, Forton avait pris de grands risques en s’attaquant ainsi à la puissance jésuite. Car beaucoup de leurs anciens élèves se trouvaient parmi les critiques littéraires de l’époque.

Le grand Mauriac, ainsi qu’André Billy, président du jury Goncourt de l’époque, ne firent qu’une bouchée du jeune Forton, pourtant donné gagnant peu de temps avant la remise des prix littéraires. Leurs critiques – perfides de la part de Mauriac – eurent raison de l’enthousiasme suscité par ce roman au sujet sulfureux pour l’époque.

Mais un scandale bien plus grand s’ensuivit à propos du Goncourt de cette année-là, lorsqu’on s’aperçut que le lauréat, l’écrivain roumain Vintila Horia, était un ancien nazi. On décida alors que le Goncourt ne serait pas attribué. Et c’est ainsi que Forton rata cette consécration d’un cheveu, à cause d’une cabale de jésuites comme au temps de Molière !

Après un silence de six ans, dû à la maladie, il publia un huitième roman en 1966, Les Sables mouvants, qui partait lui aussi bon gagnant pour le Goncourt.

C’est alors qu’un article de l'influent critique Matthieu Galey fit pencher une fois de plus la balance des juges du mauvais côté. Ses attaques violentes contre Forton semblaient d’autant plus incompréhensibles qu’il avait naguère salué la vigueur de son talent.

En réalité, Galey n’avait fait que se servir de Forton pour régler ses comptes avec Gallimard. Mais les conséquences de cette attaque semblent avoir été fatales à l’auteur. Car à partir de ce moment-là, il ne publia plus de roman de son vivant, ni chez Gallimard ni chez un autre éditeur.

Forton vécut encore seize ans, publiant de temps à autre quelques nouvelles dans la presse locale, et menant la vie effacée et tranquille d’un libraire bordelais jusqu’à sa mort en 1982, une disparition qui passa quasiment inaperçue dans le milieu littéraire.

Après son dernier roman publié en 1966, il sombra dans l’oubli pendant quasiment trente ans, jusqu’à ce que Le Dilettante, en 1995, publie un de ses romans inédits, L’Enfant roi. Dominique Gaultier, l’éditeur du Dilettante, fit ainsi redécouvrir aux lecteurs des années 90 de grands écrivains à côté desquels le public était passé, du temps de leur vivant : Emmanuel Bove, Paul Gadenne, Henri Calet, Raymond Guérin, Georges Hyvernaud, Jean Forton et d’autres écrivains de la même eau.

Le site http://jeanforton-catherinerabier.jimdo.com/ consacré à Jean Forton par Catherine Rabier, auteur d’une thèse sur la réception de son œuvre, vous invite à découvrir un auteur à la plume à la fois acérée et poétique, saluée par les critiques étrangers pour sa beauté intemporelle, dans la lignée des grands classiques français, un auteur d’une lucidité à vous faire froid dans le dos, d'autant plus efficace qu'elle s'accompagne d'un humour subtil, un auteur, enfin, qui a gardé la nostalgie du « vert paradis des amours enfantines ».

De nombreux documents ont été réunis sur les différents lieux décrits dans ses romans, les éditions françaises et étrangères de ses œuvres, ses facettes variées, du jeune revuiste au critique, et l’analyse de la réception critique de son œuvre, qui dresse en creux un panorama du contexte littéraire des années 50 et 60.

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