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The Office : version britannique contre version américaine

Créée en 2001 par Stephen Merchant et par l’ex-musicien, animateur radio et humoriste Ricky Gervais, The Office débarque sur la BBC Two en juillet de la même année. Bouclée en deux saisons de 6 épisodes, elle rencontre très vite un énorme succès. Sacrée meilleure série de la BBC pour la décennie 2000-2010, récompensée par six BAFTA (meilleure série comique et meilleur acteur pour Ricky Gervais en 2002, 2003 et 2004) et deux Golden Globes, The Office a depuis été adaptée en France (Le Bureau), au Canada (La Job) et bien sûr aux Etats-Unis (The Office). L’adaptation américaine, créée par Greg Daniels pour NBC (Ricky Gervais et Stephen Merchant étant crédités comme producteurs exécutifs), achève actuellement sa sixième saison.

Dans la version originale comme dans l’adaptation américaine, The Office met en scène le quotidien des employés de bureau d’une société de fabrication et de vente de papier. Qu’elle soit située à Slough, bourgade du sud de l’Angleterre (version britannique) ou à Scranton, Pennsylvanie (l’adresse complète de l’entreprise, dans la version américaine, 1725 Slough Road à Scranton, est un clin d’oeil à la version originale), elle est ancrée dans le même contexte socio-économique, celui de la classe moyenne.

A la tête de l’entreprise, David Brent (Ricky Gervais) pour les Anglais, Michael Scott (Steve Carell) pour les Américains: si de part et d’autre de l’Atlantique la figure du patron de The Office est tout aussi minable, le personnage de Michael Scott parvient à inspirer davantage de sympathie (toute proportion gardée), les scénaristes ayant privilégié son humour (pénible), son insupportable jovialité et sa maladresse somme toute inoffensive. David Brent, lui, dispose de quelques neurones supplémentaires, qu’il emploie à dépasser son homologue américain en méchanceté et en cruauté : raciste, mysogine, menteur, narcissique et vulgaire (le gendre idéal, en somme), Brent prend son pied à humilier ses employés, qui le craignent suffisamment pour ne pas en venir aux mains. Dans la version américaine, Scott est giflé dès le deuxième épisode par une employée d’origine indienne, lors de la journée de l’intégration (sic) ; on imagine assez mal la réaction d’un David Brent à une telle humiliation publique.

The Office US, diffusé sur le network NBC et donc soumis à la censure du FCC, notamment en terme de langage, est beaucoup plus axé sur le comique de situation que la version britannique. Une version britannique incroyablement cynique et grinçante, dont les limites en terme de politiquement correct ne sont clairement pas les mêmes. Là où les personnages de la version américaine prêtent généralement à rire, ceux de la version originale font parfois franchement froid dans le dos: quant à Gareth Keenan (Mackenzie Crook) aux yeux caves qui dévoile son étui à téléphone en forme de holster, on remercie le ciel qu’il ne vive justement pas aux Etats-Unis… Dans le pilote, la scène durant laquelle le boss fait croire à la standardiste qu’elle est renvoyée pour vol de post-it, scène pourtant identique dans les deux versions, aboutit à un résultat totalement différent :ce qui est perçu comme une énorme maladresse de la part de Michael Scott passe pour de la cruauté chez David Brent.

Sur le plan formel enfin, la version américaine s’inscrit elle aussi dans la veine du mockumentaire, plutôt à la mode dans les séries télé depuis quelques années et depuis bien plus longtemps au cinéma, ces comédies qui reprennent les codes du reportage (codes visuels et narratifs, laissant entendre que les personnages ont conscience d’être filmés). Mais de la même manière qu’un documentaire (souvenez-vous de Strip-Tease) est capable par la seule force du montage d’exprimer des intentions et des prises de position, le montage de The Office, et tout particulièrement la version américaine, est remarquablement bien ficelé : à une séquence montrant Michael Scott lancé dans une délicate imitation d’Hitler, succède un “talking head” (plan face caméra en privé, sur le mode du “confessionnal” des émissions de télé-réalité) de la réceptionniste assurant qu’elle accepterait plutôt bien son licenciement ; de la manière, après qu’elle ait avoué sa passion pour l’illustration et les aquarelles, le plan suivant la montre appliquée à étaler du blanco sur une paperasse quelconque…

Il ne s’agit donc pas ici de faire le procès de la version américaine, qui a eu le courage, juste après le pilote, de travailler avec ses propres scénarios ; quelques épisodes ont ensuite été nécessaires pour trouver un ton propre et se détacher de son modèle, mais la fidélité du public et les six saisons passées suffisent à prouver la qualité de l’adaptation. Les auteurs de la version US ont d’ailleurs opté pour le seul choix sensé en la matière : transposer plutôt que copier, en intégrant à la série les questions propres à la société américaine.

Amandine Prié

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