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La passion de la marche

Récit de Bernard THANRON sur cybermarcheur
La Voie Sacrée 2009

LA VOIE SACREE journal de route d’un marcheur

VERDUN MOULIN BRULE . LEMMES . SOUILLY. HEIPPES . ISSONCOURT LES 3 DOMAINES . CHAUMONT-SUR-AIRE .
ERIZE-LA-PETITE . ERIZE-LA-GRANDE . ROSNES . ERIZE-LA-BRULEE . LE PETIT RUMONT . NAIVES DEVANT BAR
BAR-LE-DUC – se souvenir dans l’effort –
Je n'ai plus d'âme, je n'ai plus de cœur, je n'ai plus de ciel bleu…je ne suis plus qu'os, chair…et la pluie drue s'acharne sur l'acier du casque… Jean Giono, septembre 1917

Les cieux chagrins n’ont pas terni la belle ambiance de retrouvailles pour la cinquantaine de participants venus au départ de la 28ème édition de la belle VOIE SACREE. Maintenir dans l’effort sportif le souvenir des millions qui l’ont empruntée dans la souffrance lors de la Grande Guerre est notre unique pensée. Le ciel enchevêtré de nuages gris des plus menaçants se déplaçant bien vite, présageait des grands vents sur les hauteurs. Le thermomètre n’atteindra jamais les 5° dans la journée, mais n’est-ce pas préférable à un 40° plein cagnard ? Novembre nous voilà ! Collants longs molletonnés, gants, bonnets, petite polaire et micro-fibres sont de rigueur. Pour les pieds…ils seront détrempés. Les ampoules ? leur temps viendra à temps. Organismes délicats, s’abstenir ou bien s’endurcir.
Départ bruineux froid venteux, les conditions météo empireront sur les hauteurs du parcours. Le peloton s’étire rapidement. Passé 1 heure de marche, les groupes sont faits, ponctués de quelques isolés en intermédiaires.
Depuis la borne 1 à VERDUN, VOIE SACREE et VOIE DE LA LIBERTE sont unies sur 8km. La dernière va sur Ste MENEHOULD, nous bifurquons vers MOULIN BRULE km9, premier ravitaillement. Pour sa 1ère VOIE, marchant de 8 à 8.400km.h Frédéric LESCURE mon beau-frère, adepte annuel du CHEMIN DE COMPOSTELLE va bien. Le contrat est d’aller ensemble au bout. Nous ne descendrons sous la barre des 8 à l’heure qu’au km33 afin de gérer les douleurs survenues. Depuis la sortie de VERDUN, notre trio est formé avec Daniel BORDIER. Nous discutons et plaisantons vaillamment. Là-haut, nous entrerons dans la tourmente. Au sommet de la côte vers l’autoroute A4, nous voici plein vent, c’est lui qui mènera la danse de la VOIE SACREE. Organisme en température, Daniel s’éloignera doucement et infailliblement à notre vue. Les grains battants arriveront bien vite. Nous tiendrons bon ! Je pense à Pascal DUFRIEN, convalescent, fervent amateur de côtes et autres difficultés routières. Ici, des conditions atmosphériques au profil du parcours, il aurait été à son aise ! Penser aux copains est bon pour le moral. Nous revenons sur Bernadette QUINQUETON, nous la saluons par quelques mots d’encouragement qui, à notre désolation, ne suffiront pas à la souriante marcheuse.
LEMMES km15, après 5km de lutte non-stop contre EOLE et ses violents copains souffleurs du nord-ouest, nous sommes tout heureux de retrouver nos 2 ravitailleurs. L’ami-juge-marcheur aguerri Patrick MARSCHALL s’est mis très efficacement à notre service, aux côtés d’Elisabeth, ils nous soutiendront cœurs et âmes…Chaque coupelle et bouteille nous sont présentées commentaires à l’appui, la grande classe ! Les bourrasques incessantes, parfois déséquilibrés, nous avons gardé l’échine droite et fière tant que nous avons pu. Par sagesse et humilité nous la courberons plus loin. Les pluies nous convainquent de l’efficacité et l’avantage des vêtements en microfibre.
SOUILLY km20, devant le GQG de la 2e armée française durant le siège de VERDUN en 1916, les 3 premiers sont passés depuis une demi-heure. Nous les suivons, au calme. Chaque bourg traversé sera une félicité pour nos vertèbres et muscles forts sollicités. Sortie de SOUILLY, nous retrouvons l’affrontement contre vents et marées venus du ciel. Jocelyn ELIEZER le bouillantais, est dans notre ligne de mire. Une heure nous sera nécessaire pour rattraper sa foulée puis passer. Resté dans notre sillage, Jocelyn ne cèdera que 2h plus tard, quel beau lutteur !
Des déluges en rafales perçant les visages, des tourmentes de vent nous rétractent le corps. Cervicales, trapèzes, muscles droits antérieurs des cuisses, jumeaux des mollets se rebellent. Nous entrons en phase de résistance mentale. Le ciel a décidé de faire ployer les marcheurs puis de les noyer, ils vont savoir le défier pour vaincre. Nous étions certainement les seuls sportifs au-dehors. La Marche est l’un des rares sports par excellence pour gens forts, les autres…
HEIPPES km24, je n’évite pas une flaque d’eau pourtant bien en vue. Splash ! ma chaussure droite se transforme en rivière. La seconde subira le même sort plus loin. Les invariables picotements m’alerteront d’ampoules en gestation. Une douce sensation de chaleur m’informera plus tard que la phlyctène gauche s’est crevée. En sortie du village, sous une nouvelle averse diluvienne, nous percevons en arrière le son du clocher sonnant les midi. Nous ne nous épuisons plus à résister aux rafales. Allure courbée afin d’esquiver les attaques venteuses continues, nous soufflons cadencés. Tout comme les rares corbeaux, chahutés, qui ont bien du mal à suivre leur ligne de vol, nous avons parfois du mal à garder notre ligne de marche. Le passage sous la ligne du T.G.V nous offre quelques décamètres au sec. En sortie le combat reprend de plus belle. Des toitures encore lointaines annoncent ISSONCOURT. Nous y entrons pour nous redresser, toujours fiers marcheurs !
Aux 3 domaines, haut-lieu de la gastronomie meusienne, nous rejoignons Frédéric JOURD’HUI en détresse. 12km plus loin, une santé rétablie, alors que la notre s’étiole, le sociétaire de l’A.C. BAZANCOURT nous repassera irrésistiblement. L’accompagnateur du grand URBA s’endurci bien, merci ! La traversée des bourgs successifs est une véritable aubaine. Les maisons nous coupent du vent et des pluies glaciales épuisantes pour l’organisme. Havre de paix bienfaiteur, zone de calme relatif, nous y ressuscitons. De éoliennes nous apparaissent à l’horizon. Quelle majesté dans le paysage envers les menaçantes centrales. Les nuages bas enveloppent les pales. On pourrait presque toucher le ciel. Mon compagnon ne parle plus. Je vois bien qu’il souffre. Mais il garde la tête haute, regard lointain. C’est sa façon d’esquiver le mal être de la mi-parcours. Il me dit écouter du PINK FLOYD.
Dans la forte descente de CHAUMONT-SUR-AIRE km33, une dame charmante vient nous offrir des sucres. Bien que parfaitement ravitaillés, nous ne lui refusons pas, tant son sourire est compatissant quant à notre situation. Elle nous encourage à tenir. Nous lui promettons.
Après ERIZE-LA-PETITE km34 et la borne géante commémorative du Tour de France 2001, la route serpente au pied des collines. Nous sommes à couvert des vents violents. Nous quittons notre style de lutteur pour retrouver celui de marcheur. Le mari de Véronique NAUMOWICZ m’a confié avoir conseillé à son épouse de se caler derrière moi…comme quoi certaines locomotives ont bons dos et ici, c’est un plaisir de servir ! La douvrinoise possède un rythme efficace et économique fait pour durer. Sa concentration est exemplaire avec ce zeste d’humour fort appréciable quand on se côtoie sur la route. A la sortie d’ERIZE, Véronique nous distance sans coup férir. J’en profite pour prendre la liberté de me retourner (ce qu’un marcheur ne doit jamais faire s’il veut rester concentré). Là-bas, au loin, quelqu’un avance…Il s’avèrera que la silhouette devinée était celle du grand Robert SCHOUCKENS dont l’écart de 8’ au km20 n’aura pas varié d’un iota à l’arrivée. J’appelle cela de la parfaite régularité.
Au sommet de la côte de PETIT-RUMONT km45, le regard de mon compagnon se ravive. Nos équipiers sont idéalement intervenus au grand moment d’incertitude que nous avons tous connus. « J’en peux plus, je suis trop mal, je suis épuisé, je dois m’arrêter pour récupérer si je veux y arriver»…puis à force de persuasion, de mouvements divers et variés, de frictions le cap détresse est passé. Le formidable organisme humain a reconquis les ressources nécessaires de bien finir. Le beau-frère souffle en rythme et sa ré oxygénation est automatique. Un dernier assaut des éléments nous tombe sur le dos, mais à moins de 10km de l’arrivée, rien ne pourra plus nous freiner.
Nous atteignons NAIVES km51 où nous sommes reçus et applaudis par une fervente équipe bénévole de ravitailleurs. Sur une petit table installée sous un abri de bus, des thermos emplies de café, thé ou chocolat chauds nous tendent leurs anses. Le chocolat remplacera avantageusement ma barre de céréale. NAIVES et ton amitié sportive, à l’an prochain !
Le panneau « BAR-LE-DUC » franchi, nous entendons le haut-parleur du stade annonçant les arrivées. En contrebas de la route, sur l’anneau de la piste du stade, nous apercevons Frédéric JOURD’HUI qui en termine. Nous y pénétrons alors que la pluie force son rythme. Bien que trempés comme des soupes, hormis le haut du corps, nous en faisons autant. La piste transformée en piscine, nous bouclons le dernier tour. Même à 8km.h, gare à l’aquaplaning ! Une douche chaude revigorante nous attend, mais comme je regrette la si belle arrivée dans le parc du château de MARBEAUMONT substituée au profit d’une piste de stade.
Sous un dernier déluge, Robert SCHOUCKENS arrivera 8 mn plus tard. A 79 ans, l’extraordinaire compétiteur, vainqueur du Strasbourg-Paris démontre ainsi que la Marche est bien le sport d’endurance par excellence. Lors de la remise des récompenses, une formidable ovation de respect et de reconnaissance lui sera offerte. Robert SCOUCKENS venait d’annoncer sa retraite de compétiteur pour 2008, il aura 80 printemps. Je suis fier de l’avoir côtoyé.
Ce 11 novembre, il ne tombaient ni hallebardes ni orages d’acier, simplement l’eau et le vent étaient maîtres du terrain. Les marcheurs ont bien résisté où d’autres sportifs apeurés et dépendants de leur petit confort auraient rejoint depuis des lustres leur triste sofa.
MICIA la chanteuse de fado m’a chuchoté la chanson des vieux amants, Zachary RICHARD le cajun m’a chanté « dans mon rêve », le Chant des partisans m’est parvenu à temps et par eux j’ai avancé dans la pluie et le vent.
A l’annonce du vainqueur Anthony BOYEZ , mon sang n’a fait qu’un tour à la pensée du plaisir ressenti par l’ami conseiller Denis DUGAS. Anthony est né à VERDUN. Son grand-père est venu le surprendre et l’encourager en fin de parcours. Pour l’en remercier, Anthony donnera tout pour remporter la Victoire de la VOIE SACREE.
VERDUN BAR-LE-DUC 2007 BAR-LE-DUC VERDUN 2008. Ce n’est pas l’enfer connu de nos ancêtres. La VOIE SACREE est une histoire d’amour et de mémoire ancrées l’une à l’autre. Pour les millions d’âmes passées ici, marcheurs et organisateurs font tout pour la perpétuer. Merci à eux tous. Nous leur devons de revenir sans cesse.
Lundi 12 novembre, AULNAY-SOUS-BOIS, ciel bleu pur; il fait grand beau temps, sur la margelle de la fenêtre, mes chaussures sèchent à l’air libre.

LA VOIE SACRÉE…ALLEZ-Y MARCHER !

 

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