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Tout quitter pour naviguer

Ils le construisaient sur le terrain d’un voisin dubitatif, dans la grange d’un agriculteur curieux de ces étranges parisiens, sur un chantier qui avait serré ses prix sur la coque nue, qu’il fallait mettre en état de naviguer, quitte à sacrifier l’aménagement intérieur pour l’achat d’une paire de winches. Ils étaient inspirés par Moitessier, admiratifs de Tabarly, lisaient et relisaient les récits parus aux Editions Arthaud.

Quarante ans plus tard, ceux qui ont réussi à partir, et dont la passion a survécu aux difficultés, aux désillusions, aux obstacles matériels et financiers, racontent aux enfants du GPS et de l’enrouleur de génois le temps des calculs astro, des mouillages déserts, les pêches miraculeuses.

La plaisance est devenue une industrie soumise aux lois du marketing. Les mouillages sont de plus en plus encombrés et de moins en moins gratuits, les langoustes se font rares. Un tour du monde, même en solitaire, n’intéresse plus les éditeurs, seulement les copains, et encore ! Les bateaux sont devenus plus rapides, plus confortables. La mer est restée la même, et fait le tri.

La simple envie de « se barrer » ne fait pas automatiquement les bons marins, mais beaucoup le sont devenus. Chemin faisant, ils ont parfois oublié les motifs qui les poussaient, objets de discussions passionnées avec ceux qui les enviaient ou les imitaient. La mer a pris la parole.

Quelles motivations ? Diverses, bien sûr, mais l’esprit des années soixante les imprégnait assez largement. Dégoût de la vie bourgeoise, retour à la simplicité, élan juvénile vers l’expression de soi via le contact avec l’authenticité des éléments –qu’on ne faisait que deviner. « Se barrer », c’était rompre les liens avec le factice, larguer les amarres des conventions, fuir un monde en perdition…

La mer reste la même, les moyens de l’apprivoiser quelque peu se sont accrus, les motivations de « se barrer » sont à la fois anciennes et nouvelles.

Certains s’échappent d’une vie sans perspective, d’un devenir voué comme Sisyphe à la roue qui sans cesse retombe sous le poids des charges, dont ils savent qu’elles seront toujours plus lourdes. Pour d’autres, ce n’est pas le monde qui est en perdition, c’est leur propre pays. Ceux des années soixante étaient les enfants révoltés des « trente glorieuses » ; ceux d’aujourd’hui les enfants accablés des « quarante piteuses ». L’étouffement de la « société bourgeoise » a fait place à une autre sorte d’asphyxie, celle de l’Etat –prévoyance.

La mer et les bateaux, chacun d’entre eux en découvrira les absurdités et la beauté. Partir, arriver. Entre les deux, il y a les étendues désertes, là où « la mer est ronde ».

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