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[Le Nouvel Economiste] Je vous écris de… Shanghaï

Chaque semaine, Le Nouvel Economiste publie une chronique de Laure de Charette sur l'Asie dans sa rubrique “Opinions”. Ecrites sur un ton léger, faussement naïf et teinté d'ironie, elles traitent de sujets liés à l'actualité asiatique ou en résonance avec elle.
La pertinence du fond, l'impertinence de la forme… !
Retrouvez les chaque semaine sur www.asienews.net, ainsi que toute les publications de Laure de Charette sur l'Asie.

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Au petit jeu de « Qui veut gagner des milliards », les Asiatiques, et notamment les Chinois, sont désormais champions. Le « rêve asiatique » est en passe de concurrencer l’« American dream » !

Selon le dernier classement Forbes, le nombre de milliardaires a augmenté de 40% en Asie en un an. L’Europe, encore numéro deux l’an dernier, compte désormais moins de super riches que l’Asie. Et Shanghai devient la ville où il est le plus facile de constituer un trésor. Les anciens pauvres deviennent les nouveaux riches… Et inversement ?

L’usine à milliardaires

L’Asie n’est plus seulement l’atelier du monde, elle se transforme en usine à milliardaires. Si les Etats-Unis comptent encore le plus grand nombre de nababs (413), l’Asie les talonne (332) et renvoie les Européens (248) à leurs châteaux en ruine. La richesse des tycoons d’Asie a triplé en Chine et doublé en Indonésie en un an, quand celle de nos quatorze milliardaires tricolores n’a cru en moyenne que de 42%. Une misère !

Les nantis de l’Est ont un certain mérite. La plupart ont créé leur fortune ex-nihilo. Loin d’avoir hérité dès le berceau du pactole familial, ce sont souvent des self-made men. Le « rêve asiatique » est en passe de concurrencer l’« American dream » ! Ces jeunots ringardisent même nos icônes fortunées. Parmi les cent vingt-cinq magnats chinois disposant d'une richesse nette à dix chiffres, neuf ont moins de quarante ans. Ils pourraient être les fils de Bernard Arnault. Et onze d’entre eux sont des femmes, quand chez nous, seule la dame patronnesse de L’Oréal, Liliane Bettencourt, porte jupons. Femmes et affaires peuvent donc faire bon ménage. Qui l’eût cru ? Ici, inutile en outre d’avoir investi les bancs de Polytechnique, comme Bernard Arnault, ou de l’ENA, comme Marc Ladreit de Lacharrière, pour gagner des milles et des cents. Li Ka-Shing, le « Superman de Hong-Kong », a arrêté l’école à quinze ans quand il a fui la Chine à la mort de son père. Le jackpot ne dépend donc pas du diplôme dans ces contrées orientales. Quel dommage… Si en France, les affaires sont avant tout une histoire de famille -les frères Wertheimer dirigent Chanel, compagnie créée par leur grand-père et Serge Dassault est le fils de Marcel, fondateur de l’empire-, à Shanghai, les milliards s’accumulent davantage en couple. Les trois Chinois à la tête des plus grosses fortunes présentées comme familiales fonctionnent en duo. Sans doute la réussite est-elle trop récente pour que ses fruits se transmettent déjà de père en fils. Politique de l’enfant unique oblige, les querelles d’héritage et les dissections de patrimoine devraient en tout cas être limitées. L’Etat chinois est un redoutable gestionnaire de fortune ! Mais nul doute qu’il va bientôt instaurer un droit de succession : c’est bien le seul parti communiste qui ne l’a pas déjà mis en place pour redistribuer les richesses et lutter contre les inégalités…

L’art du copié-collé

Pour autant, les richissimes d’Asie sont encore bridés dans leurs idées. Ils ne tirent pas tant leurs gains faramineux d’inventions révolutionnaires que de la croissance de leur marché. Les centaines de milliardaires de l’Est n’ont pas suscité de nouveaux besoins dans notre quotidien. Les seuls d’entre eux à avoir créé des marques internationales sont les Sud-Coréens avec Hyundai, Samsung et LG et les Japonais avec Nintendo et Uniqlo. Parmi les griffes chinoises ayant rendu leur créateur richissime, aucune n’est vraiment célèbre au-delà de la Grande Muraille. Ici, les très fortunés de la liste de Forbes préfèrent investir tous azimut, dans l'immobilier, la mode, la distribution, les jeux en ligne et engranger les bénéfices, plutôt que créer une enseigne et la développer patiemment au fil des ans. Alors que ce peuple inscrit d’ordinaire ses actes dans la durée et l’histoire, loin du court-termisme occidental, seule la rentabilité immédiate semble désormais lui importer. La guerre des affaires qu’ils ont eux-mêmes déclarée ressemble à une course contre la montre. A Hong-Kong, terre de réfugiés, on sait que rien ne dure. Voilà ce qui ralentit tant l’Hexagone : notre manque de précipitation !

En revanche, décliner en local les trouvailles de l’Occident fait recette. La réputation de copieurs qu’on a collée aux Chinois serait-elle fondée ? Le premier milliardaire chinois est le patron de Baidu, un moteur de recherche fortement inspiré de Google. Un autre, Jack Ma, est à la tête de Taobao, calqué sur Ebay. On regrette presque qu’ils ne reproduisent pas certaines innovations françaises, comme le Rafale. Au fond, sa réplique pourrait à la fois les enrichir, et prouver que le succès international du bijou de Dassault n’est pas qu’un mirage. Quant aux PDG de Weibo, le Twitter chinois, Youku, le Youtube local et Renren, un Facebook bis, il y a fort à parier qu’ils intègreront l’an prochain le classement. La censure qui leur est imposée par le gouvernement, et qui prive leurs clients de précieuses informations, leur est bien égale : tant que le cash coule à flots, pourquoi s’embarrasser de concepts occidentaux, de surcroît peu rentables, comme la liberté d’expression ? Comme le dit Deng Xiaoping : « Peu importe que le chat soit blanc ou noir, l’essentiel est qu’il attrape des souris ».

« Born in China »

Le mode de vie chinois ne se répand pas encore dans le monde entier, contrairement à la culture de l’Oncle Sam, qui nous inonde de ses sandwichs Subway, de ses magasins Gap, de ses Mars ou de ses Nike, des produits ayant propulsé leurs inventeurs au sommet de la pyramide argentée. Si les étiquettes « made in China » investissent nos penderies, nous ne sommes pas envahis de produits « Designed in China ». Quoique : les allumettes, l’horlogerie, le papier, l’imprimerie, la poudre à canon, la boussole ont bel et bien été inventés dans l’Empire du Milieu. Autres temps, autres mœurs.

Toujours est-il qu’aujourd’hui, la Chine a besoin des idées nées à l’Ouest pour faire tourner ses usines, et que les Yankees ne verraient guère leurs nouveaux produits naître si les petites mains chinoises ne leur donnaient vie. Les Américains ont de la matière grise, et les Chinois des bleus de travail. Comme les choses sont bien faites ! Quant aux Français, pendant ce temps, ils débattent des règles du commerce international… Faute de joueurs, autant arbitrer !

Mais bientôt, la Chine comptera autant de cerveaux que de bras. Après la production, la Chine veut dominer l'innovation. Les dépenses en recherche et développement devraient dépasser cette année celles du Japon. Dans le domaine pharmaceutique, c’est la Chine qui a déposé le plus de brevets d’invention en chimie. Le plan quinquennal stipule très clairement : « Nous apprendrons à nos étudiants à penser en toute indépendance et à se montrer innovants ». Déjà, l’ordinateur le plus puissant du monde, Tianhe-1A (« Voie lactée »), ainsi que le train le plus rapide de l’histoire, sont chinois. La copie dépasse l’original ! Les fidèles de Hu Jintao sont d’ailleurs convaincus que leur nation supplantera les autres dans le domaine de l’innovation dès 2020, selon une enquête récente. C’est méconnaître les montants investis dans l’Hexagone pour la recherche ! Les « Géo Trouvetou », nombreux ici jadis, pourraient renaître de leurs cendres. Si l’Asie se met à créer, en plus de produire, alors le nombre de milliardaires asiatiques pourrait bien se multiplier dans les années à venir. Les colonnes du classement devront s’agrandir. Mais d’ici là, la France se réveillera…

Candide

Pcc Laure de Charette, pour Le nouvel Economiste

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