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L’échec, entre les mesures et l’influence

II y a quinze ans, je relevai le pari d’un ami, aujourd’hui décédé et à l’époque, décidé à créer une obscure maison d’édition qui ne vit pas hélas pour lui le jour. Il m’avait sollicité pour lui écrire un livre dans la veine d'un « imitateur » de Thomas Bernhardt, des nouvelles en vingt lignes, contant la vie de ce jour, écrit bien entendu à ma manière goguenarde de voir le monde.
Rétif, je m’y suis attelé pendant un an. Quelques raisons ont justifié l’abandon de ce travail. La première fut le renoncement de mon commanditaire à son projet utopique.
Pour la seconde, mon employeur voyait d’un mauvais œil mon éparpillement sur le front de la création alors que je lui rédigeais sa pièce sur le mal-être. Enfin, la dernière et peut-être l’essentielle, il me manquait le souffle et l’envie.
Notre dimanche est le laboratoire central où je prends la température auprès d’âmes sœurs du bien fondé de ma recherche. Aussi, de ces « contes modernes », je vous
en confie trois au milieu de la centaine écrite, pour que peut-être, grâce à vous, je vaincs ma paresse et trouve l’allant d’achever cet ouvrage pas tout-à-fait mort né.

Comme Artaud :

Dès la première lecture de «l’ombilic des limbes », il s’identifia à son auteur : Antonin Artaud.
Comme son écrivain fétiche, il s’adonna aux drogues. Il tenta une carrière de comédien ; écrivit abondamment du soir au matin sans pour autant constituer autour de lui une cour d’admirateurs comme son illustre aîné.
Il affolait les petites vieilles de la ville en faisant tournoyer le pommeau de sa canne et en criant « merde » d’une voix suraiguë.
Ce comportement étrange l’amena comme l’auteur du « théâtre et son double » à être interné à l’hôpital psychiatrique.
Au contraire de son idole, il ne bénéficia pas d’autorisation de sortie.
Il mourut dix ans plus tard sans aucun article même dans les journaux locaux ne fasse écho de cette disparition. Son énorme travail d’écriture, selon les autorités, n’avait apparemment pas abouti à constituer une œuvre. Nul ne sait ce que sont devenus les manuscrits.

Sur mesures :

Un ami, peintre de marine, reçut un été une commande inhabituelle. Il fut chargé de réaliser une vingtaine de toiles dans des formats précis. Il s’étonna de ce cahier des charges. La somme proposée était rondelette ; il effectua le travail dans un temps record.
Lors de la remise de l’ouvrage, il s’enquit de la raison de cet achat particulier.
Le client lui avoua qu’il venait d’acquérir une villa sur la côte. L’ancien propriétaire, un collectionneur du peintre, avait emporté avec lui toutes les peintures de l’artiste. Sur les murs, ne restaient que des rectangles et des carrés révélant l’ancienne présence des œuvres. Pour remédier à cette « inesthétique » selon des propres mots, l’acheteur avait donc commandé des tableaux « sur mesures ».

Influence :

Sur cette tombe, des poèmes d'amour, des mots d’amis, des mots de celle qui l’aime et le portrait juvénile du défunt, attirent le regard des visiteurs du cimetière.
Ce monument est fleuri tout au long de l’année. J’ai pu voir une fille maigre y déposer des roses la semaine dernière. Une pieuse veuve, habituée des lieux, me fit la confidence qu’elle venait là depuis plusieurs années, trois fois par mois, poser un bouquet. C’était l’ancienne amie de l’occupant des lieux décédé tragiquement dans un accident de la route. Elle était mariée et mère de trois enfants. A l’époque, ajouta-t-elle, encore adolescente, à la connaissance du drame, elle s’ouvrit les veines. Alertés par les parents, les pompiers la sauvèrent et découvrirent à son chevet « Roméo et Juliette » de William Shakespeare.
La bigote ne remettait pas en cause l’importance de ce Monsieur en tant qu’auteur, mais trouvait tout à fait déplorable son influence sur une âme faible jusqu’à l’entraîner au suicide.

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