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L’exil au Maroc

En 1492 à Tolède, les crieurs de rue annoncent aux juifs qu'ils devront abjurer leur religion ou périr sur le bûcher. On organise l'exil au Maroc…

La tempête fut des plus cruelle et les fuyards firent une escale imprévue à Lisbonne, le bateau réparé et une nouvelle boussole installée à bord, on reprit la mer…Après quatre jours pleins et par un temps idyllique, le Lagrima Cristo se présenta face à la célèbre rade d’Anfa (ancienne Casablanca) sous les applaudissements des voyageurs impatients de se lancer dans leur nouvelle vie.

Plus le bateau approchait du port et plus les passagers étaient intrigués par la foule qui semblait les accueillir, on brandissait des chapeaux et on lançait des cris de joie. Mais qui étaient ces gens et que leurs voulaient-ils ? En s’approchant du quai, ils comprirent.

— Nos compagnons de Tolède ! Ce sont les passagers du « Suerte de Vivir », tous nos amis sont là ! Regardez à droite dans la forme de radoub, leur bateau est à sec pour des réparations, quel bonheur, vivement que nous débarquions pour les serrer dans nos bras. —

Pendant les longues minutes d’appontage du « Lagrima Cristo, les passagers eurent tout loisir de détailler la foule, ils comptèrent et recomptèrent… il ne manquait personne. Du pont du bateau où ils étaient agglutinés au quai du port six mètres plus bas, les conversations faisaient s’époumoner les bavards comme s’il eut fallu rattraper le retard de ces jours d’inquiétude.

Quelques instants plus tard, sur le quai on se raconta les péripéties de la traversée pour essayer d’évacuer la peur qui les tenaillait encore.

— Nous avons eu un fort coup de vent qui a levé une tempête indescriptible. Notre pauvre navire semblait évoluer sur des montagnes d’eau qui le jetaient d’une crête escarpée à une autre où on pouvait le voir glisser sur le haut de l’horizon puis brusquement il plongeait, disparaissant dans un creux abyssal dont on le savait, il ne pourrait jamais sortir… enfin, contre toute attente, on le revoyait la proue levée vers le ciel regagnant un nouveau sommet où il semblait à nouveau narguer les éléments.

Ce manège infernal s’accompagnait de craquements et de chocs dus aux objets ayant rompu leur arrimage, nous étions si terrorisés que pour la plupart nous restions groupés, terrés dans un coin. —

–Votre grain a semble-t-il été plus violent que le notre. —

–Oui peut-être, ce qui est certain c’est que nous avons eu très peur, le capitaine n’avait pas suffisamment anticipé le début de la tempête, la voilure n’avait pas été affalée à temps et bientôt ce ne fut plus possible.

Au beau mitan de la coursive où nous étions rassemblés, un horrible craquement retentit alors jusqu’au plus profond de nos poitrines et aussitôt le navire parut s’arrêter. Les plus intrépides risquèrent un œil sur le pont, le grand mât s’était rompu par le milieu et gisait sur le pont immense et ridicule avec sa voile secouée par le vent. Bien heureusement, les éléments se calmèrent comme si l’ogresse rassasiée souhaitait se reposer et contempler ses méfaits.

Le « Suerte de Vivir » privé du plus important de ses moyens de propulsion se dandinait maintenant de bâbord à tribord comme un gros dindon sur une mare agitée.

Au petit matin nous nous comptâmes, personne ne manquait parmi les passagers mais il manquait le mousse. Le jeune homme grimpé sur les cordages du mat avait été happé par la mer pour satisfaire son infâme repas.

Le mousse, c’était le fils du capitaine et celui-ci n’adressa plus un mot à ses voyageurs jusqu’à l’arrivée, il continua à guider tant bien que mal la Caraque en adressant ses ordres aux marins et en se nourrissant dans sa cabine.

— A propos, où est-il notre capitaine ? Je l’ai aperçu sur le quai à l’approche du Lagrima Cristo, il est monté à bord puis je crois qu’il en est descendu. Je ne le vois ni à nos cotés ni près du groupe des marins. —

Après les heures consacrées aux retrouvailles, Moshé et sa famille gagnèrent la vieille médina située près du port. Il était accompagné de sa famille et de son client Marocain qui le conduisit au Riad réservé pour son séjour dans la ville. La soirée fut consacrée à découvrir les lieux et on se coucha tôt car ils étaient tous épuisés par le long séjour en mer.

Le lendemain matin, le père et le fils dirigèrent leurs pas vers le port pour chercher un coffre oublié la veille. Sur la place face à son bateau, le capitaine du « Suerte de Vivir » exhibait sa dérisoire dépouille pendue à la fenêtre de sa chambre au dessus de la taverne. Il disait à ceux qui daignaient lever les yeux l’immensité de sa détresse et sa culpabilité d’avoir invité son fils unique venir se faire tuer à son bord.

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