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Conservateurs vs progressistes: plus qu’une affaire d’opinion

En cette période électorale française bientôt suivie de la campagne présidentielle américaine, pour ne parler que de celles-là, la question de la différence entre la pensée conservatrice dite de droite et la pensée progressiste dite de gauche (ou “libérale” outre-Atlantique) est au centre des débats même sil elle n’est généralement pas formulée en ces termes. Mais au-delà des différences de programmes politiques, qu’est ce qui différencie fondamentalement un électeur conservateur d’un électeur progressiste? J’utiliserai ces termes plutôt que “droite” et “gauche” car il existe de nombreux progressistes de droite et de conservateurs de gauche. J’entend ici par conservateur une pensée construite sur la peur de l’autre et le néodarwinisme social, autrement dit: un ordre “naturel” bien établi avec les plus forts en haut et chacun chez soi. Et toutes les mesures sécuritaires, militaires ou religieuses qui garantissent le maintien de cet ordre. A l’inverse il faut entendre ici par “progressiste” une tendance à l’égalité entre les hommes et les peuples et une notion de bien commun qui soit autre chose qu’un ensemble de privilèges de classe, ainsi qu’un tropisme éducatif et universaliste induisant souvent un certain relativisme culturel et la relégation des religions et traditions au statut de folklore.

Ces précisions faites, la question posée par des chercheurs aussi en bien en biologie qu’en psychologie est la suivante: ces deux modes de pensées sont-ils le fruit d’une réflexion consciente, ou plutôt le fruit de facteurs biologiques et psychologiques innés ou induits, qui font de ces deux visions politiques les reflets de deux manières très différentes de ressentir et d’interpréter le monde qui nous entoure?

Voici une dizaine d’années John Hibbing et son équipe du laboratoire de psychologie politique à l’Université du Nebraska débutaient un programme de recherche qui aujourd’hui oblige à prendre en considération une origine en partie biologique à la tendance conservateur / progressiste. Confrontés à une stimulation désagréable tel un bruit soudain et fracassant, le profile-type “conservateur” aura un réflexe de protection (startle reflex) bien plus prononcé qu’un sujet-type progressiste. Confronté à des images menaçantes, le conservateur aura une réaction épidermique plus forte et scrutera ces images plus intensément que son homologue progressiste. En dehors du laboratoire, l’équipe a pu observer que le profils-type conservateur aura tendance à vivre dans un espace rangé et conventionnel, le progressiste étant nettement plus tolérant au désordre et au fatras. Des différences au niveau artistique et humoristique ont également été observées.

Les chercheurs se sont également intéressé aux différences ente les structures et fonctionnement des cerveaux de nos deux profils. Il semble que le type conservateur possède une amygdale droite plus développée que le type progressiste, cette partie du cerveau étant spécialisée dans la réaction aux menaces et à la peur. A l’inverse, le type progressiste possède plus de matière grise au niveau du cortex cingulaire antérieur, dont l’une des fonction semble être la détection d’erreur et la correction de comportement répétitif. Ceci est évidemment à prendre avec des pincettes car si ces mesures se vérifiaient à une large échelle encore faudrait-il savoir si c’est, par exemple, l’amygdale qui génère la pensée conservatrice, ou l’inverse. Ces travaux s’ajoutent à des recherches plus anciennes et bien établies démontrant la forte corrélation entre le type conservateur et l’attitude consciencieuse (privilégiant l’ordre et la structure), la méfiance, et la compétence et l’organisation dans l’action. A l’inverse, le type progressiste est nettement plus ouvert à l’expérience et confortable avec la notion de changement social, politique ou personnel.

Plus récemment, une équipe du département de psychologie de la Brock University à Ontario, Canada, publiait un papier dans Psychological Science mettant en relation le profil-type conservateur ou progressiste et le quotient intellectuel. Une étude couvrant plus de 15 000 personnes en Angleterre semble établir un lien entre un niveau d’intelligence inférieur chez l’enfant générant une attitude raciste une fois adulte. Une étude équivalente aux USA révéle un lien entre une faible capacité de raisonnement abstrait et la tendance à l’homophobie. Les auteurs de cette étude concluent que les facultés cognitives (cognitive abilities) jouent un rôle critique mais peu reconnu dans la construction des préjugés. Ils en induisent que l’idéologie de droite (right-wing), socialement conservatrice et autoritaire, représente un mécanisme liant le manque de facultés cognitives et le préjugé négatif envers les groupes extérieurs (différents du sien). Etant donné que le fait d’être doté de ces faculté cognitives permet de former des impressions individualisées d’autrui, d’être ouvert d’esprit et plus confiant, les personnes déficientes en ces facultés sont attirées par le conservatisme social préservant le status quo et une impression d’ordre et de stabilité. De plus, ces personnes vivent dans l’anxiété que les groupes extérieurs (out-groups) ne causent la désintégration de l’ordre moral et des traditions de leur propre groupe.

Il est évident que l’on retrouve ces différences entre profil-type conservateur et progressiste dans les discours et postures politiciennes les plus marquées, telles le FN à droite qui revendique la “préférence nationale”, la hiérarchie sociale et la peur de la différence, et le Front de Gauche qui tient un propos idéologiquement égalitaire et universaliste. Ou entre les néo-conservateurs américains qui veulent remettre Dieu et le fusil au centre de la société, contre les “liberals” qu’on pourrait appeler ici des sociaux-démocrates. Que ces différentes postures soient à la base le fruit de différences biologiques reste en soi relativement neutre qualitativement parlant, un peu comme les différences entre extravertis et introvertis récemment discutées. Une société a sans doute besoin des deux types et l’on pourrait raisonnablement argumenter en faveur d’une plus grande tolérance et compréhension entre les deux tendances.

Par contre la possibilité d’un lien entre une certaine déficience mentale (faibles facultés cognitives) telle que mesurée par les tests de QI et la tendance au conservatisme apporte un éclairage un peu différent, et le jeu de mots facile con-servateur y prendrait tout son sens. Avec le risque évident d’une arrogance malvenue de la part de ceux qui se sentent dans le “bon camp” et une réaction d’autant plus violente des conservateurs voyant dans tout cela une nouvelle manipulation anarcho-autonome boboïste. Ce d’autant qu’en France, comparativement aux USA où le système politique est très polarisé, les notions de conservatisme et de progressisme ne peuvent se réduire aux notions de droite ou de gauche ailleurs qu’aux extrêmes, et ce sous des formes souvent caricaturales. Ailleurs, par exemple entre UMP et PS, les différences sont assez superficielles et le socle commun reste un conservatisme bourgeois avant tout axé sur la défense de ses propres intérêts. L’éducation de qualité pour tous, idéal progressiste, est en fait un système hautement élitiste conçu pour préserver la dominance des mieux placés, qu’ils soient de gauche ou de droite. Il est donc difficile de transposer l’approche scientifique décrite ici vers le paysage politique traditionnel, il faudrait plutôt parler de courants conservateurs ou progressistes qui traversent les formations politiques, parfois en surface et parfois en sous-marin, orientant tel ou tel programme selon les forces en présence.

D’autant que l’Histoire nous montre clairement, avec la Révolution ou encore Mai 68, que les progressistes d’aujourd’hui deviennent souvent les conservateurs de demain.

 

Blog de l'auteur: www.rhubarbe.net

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